1957
Extrait du " Journal du Dimanche Soir " du 10
février 1957
1958
Extrait de " Le Soir Illustré" du 19 juin 1958
(hebdomadaire belge)
Neuf jeunes gens, filles et garçons, ont été cette semaine, les pitoyables vedettes des faits divers, des journaux français.
D'une part, trois jeunes dévoyés, fils de bonne famille, ont comparu devant les assises de Maine et Loire pour avoir, entre autres forfaits;, cambriolages et agressions à main armée, assassiné un septuagénaire dans l'express Paris-Quimper. Des vols d'autos, des casses de vitrines et des attaques nocturnes avaient, dans la région d'Angers, mis en éveil police dont les recherches aiguillées sur de fausses pistes, restèrent vaines pendant des mois. Un par le plus grand des hasards, car ces fils d'honorables familles paraissaient au-dessus de tout soupçon les enquêteurs mirent la main au collet d'un jeune suspect, un certain Jacques, âgé de dix-huit ans.
- Pourquoi vous le cacher! avoua-t-il. Nous a besoin d'argent pour nos vacances! Je suis, en effet, le chef d'une petite bande bien organisée! Voulez-vous des noms?
Et il cita ceux de son frère Jean Paul, âgé de dix-sept ans et d'un ami Jean-Claude, âgé de 20 ans.
- Nous formions la bande des J 3. Tant que j'y suis, autant vous dire également que nous sommes également les auteurs du crime commis sur le Paris- Quimper! Vous savez, l'assassinat de M. Bonamy Son portefeuille ne contenait que trois, mille francs. Une paille!
C'était vrai. Les deux complices, arrêtés quelques instants plus tard, ne nièrent aucunement avoir participé à l'assassinat.
Leur procès s'est déroulé à huis clos. Quelles auront été les conclusions des psychiatres chargés d'analyser leur comportement? Quels instincts, quelle ascendance auront-ils invoqués pour tenter d’expliquer leur geste criminel? Et quel argument massue n'aura pas tiré le ministère public d'une parole inconsciente, hallucinante même, prononcée par la mère d'un des accusés après la reconstitution du crime!
- Jean-Paul, couvre bien ta gorge! Tu pourrais prendre froid!
N'est-ce pas le moment également de penser que certaine littérature, d'un vide terrible, où l'amoralité affleure à chaque bout de ligne peut avoir éteint chez ces jeunes gens tout sentiment d'altruisme, tout élan de générosité? N'est-il pas permis de croire que la manière dont nombre de romans noirs les incitent à regarder la vie ont pu, en dépit d'un certain sourire, le frigorifier, à toute velléité de générosité? L'accusation ne sera-t-elle pas en de dire d'eux, comme l'a fait dernièrement un avocat célèbre
- Il n'y a plus rien de bon à en tirer! Je les abandonne!
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L'autre volet comporte six accusés qui répondent eux aussi d'assassinats, de tentative de meurtre, de cambriolages et de vol d'autos, devant la cour d'assises de Seine-et-Oise : René- Delville, 26 ans ; Charles Brégand, 21 ans, Gilberte Denis, 25 ans ; Denise Brouard. Carmen Villiers et la femme de Delville.
Du beau monde, comme on va le voir.
La police ne possédait aucun indice sur le commis à Houilles, sur la personne du docteur
Aron-Forest, 80 ans, et de sa femme, âgée de 71 ans. Là aussi les recherches traînèrent en longueur parce qu'on n'imaginait pas très bien que les bandits, en dépit d'une mise à sac en règle, eussent pu passer à côté d'une somme de dix millions en billets de banque qui fut retrouvée dans le grenier des malheureuses victimes. Le hasard qui fait bien les choses, intervint pour une grande part dans les recherches des policiers.
- J'ai ici trois clients dont la mine et l'allure ne me disent rien qui vaille! avait téléphoné discrètement, le 22 février, vers 18 heures, un hôtelier de Homecourt, à la gendarmerie locale.
Devant la porte de la maison d'arrêt de Briey.
Quelques minutes plus tard, des policiers appréhendaient Delviile, Brégand et Denise Brouard.
- Ah! Oui! Le double crime de Houilles! Vous êtes au courant! C'est nous fiirent les bandits après plusieurs heures d'interrogatoire. Mais croyez bien que jamais on ne nous aurait eus, si nous avions eu affaire à un vrai chef!
C’est alors qu’ils déballèrent tout ce qui chargeait leur conscience. Sans guère se faire prier, ils donnèrent les noms des autres complices Gilberte Denis, appelée la Zazoue, son amie Carmen Villiers, 32 ans, et la femme de Delville.
- Autant être tous dans le même bain! aurait même ajouté Brégand.
De Gilberte Denis, la femme qui s'habillait en homme, les psychiatres ont déclaré que sa perversité était effroyable, qu'elle ne voulait que du sang et que son amoralité était totale. C'est elle qui disait avant une expédition nocturne nous ne pouvons pas travailler sérieusement sans pétards!
Et comme pour l’accabler plus encore, Delville ajoutait :
- Nous voulions opérer chez une vieille dame de la rue Carnot! L'arrivée d'une personne nous a fait prendre la fuite! Furieuse, échevelée, Gilberte Denis nous a reproché de faire du sentiment! Maintenant qu'ils ont pris place sur le banc des assises, tous ont perdu de leur arrogance. Chacun se rejette la responsabilité d'avoir assumé la direction du gang. Le spectacle est sordide de voir l'un accuser l'autre dans l'espoir de sauver sa tête. Chacun minimise son rôle ou ne se souvient plus. A tout prendre, il n'est que Gilberte Denis qui ait gardé le front - inconsciemment peut-être - de prendre ses responsabilités. Jusqu'au bout, elle tient à jouer le rôle que son influence sur ses complices, son intransigeance, sa réputation de fille tarée lui ont permis d'assumer. Elle n'ignore pas qu'elle joue sa tête, tout comme Delville et Brégand. C'est ce que le président de la Cour leur a fait remarquer.
- Delville, vous êtes passible de la peine de mort! D'un geste de la tête, Delville fit signe qu'il avait compris. Brégand et Gilberte Denis ont fait de même car ils ne peuvent pas nier qu'un soir, ils ont placé Delville devant une terrible alternative.
- C'est toujours nous qui faisons le boulot! lui avaient-ils reproché. C'est bien à ton tour d'en mettre un coup!
Delville avait relevé le défi. Il prit un revolver, l'arma et se présenta chez le docteur Aron. Je viens d'abattre ta femme! lui dit-il.
- Dans ce cas, tue moi aussi! répondit calmement le vieillard.
Le bandit lui tira deux balles dans la tête, donna le coup de grâce à Mme Aron et fit main basse sur une somme de septante mille francs.
- Vous en voulez du pognon! En voilà! dit Delville, après avoir retrouvé ses sinistres complices. Quelques instants plus tard, en présence des deux cadavres qu'ils devaient enjamber, les bandits mirent à sac la villa du docteur Aron.
Les avocats de la défense n'ont pas manqué de fouiller le passé des accusés, d'établir que l'ascendance de Delville était tarée et qu'un jour, dans une crise d'éthylisme, son grand-père avait tué sa femme. Et Brégand, paresseux, bon à rien! Et Gilberte Denis, la femme-apache dont le nihilisme défie tout entendement ! Et les autres, comparses sans doute mais dont les mains sont aussi tachées de sang!
- Tous les enfants malheureux doivent-ils nécessairement devenir des assassins! ont répliqué la partie civile et le ministère public.
Entre-temps, la Justice a suivi son cours. Elle se devait de se montrer impitoyable.
L'évocation de l'enfance malheureuse et pitoyable des gangsters de Houilles par les avocats de la défense doit avoir fait impression sur les jurés. Seul, René Delville sera condamné à mort. Les travaux forcés à perpétuité sont infligés à Brégand et Gilberte Denis qui sauvent leur tête. Deux peines de prison sont prononcées à charge de Denise Brouard et Carmen Villiers.
Denise et Charles descendent de la voiture cellulaire.
De son côté, la cour d'assises de Maine-et-Loire a rapporté un verdict condamnant à la peine de mort l'aîné des agresseurs du Quimper-Paris. Le procureur de la République a autorisé, après les débats qui se sont déroulés à huis-clos, la publication du nom du meurtrier. Il s'agit de Jean-Claude Genet, âgé de 20 ans. Les deux autres J 3 sont condamnés à vingt ans de travaux forcés et deux ans de prison sont infligés à un quatrième comparse, indicateur de l'agression perpétrée à Saint-Georges de Rozay. A l'issue de ce verdict, la Cour d'assises a tenu une audience civile au terme de laquelle elle a alloué deux millions de francs de dommages à Mme Bonamy, veuve de la victime, et à ses deux filles respectivement 1.500.000 et 60.000 francs.
Louis HABAY.
15 juillet 1964
Café de la chance